Je rassemble ici mes explorations de l’audio du téléphone et, plus largement, des rapports entre voix et machine (serveur vocal, GPS, etc.) à travers plusieurs actions, depuis mars 2020, en décrivant les dispositifs mis en place. Je souhaite poursuivre ces recherches en lien avec différents contextes, équipements, équipes, structures. Par ma démarche, je tente notamment de repositionner la machine comme un simple moyen de communication au service de l’humain, de démystifier la machine et la fascination qu’elle exerce, de développer des pratiques généralement low-tech pour gagner en indépendance par rapport aux contraintes techniques et aux coûts énergétiques.
Serveurs Vocaux Interactifs
Un serveur vocal interactif (SVI) ou interactive voice response (IVR), en anglais, est un dispositif permettant d’automatiser le traitement des appels reçus. Il permet aux appelants d’interagir avec le système via la voix ou via les touches du clavier téléphonique, principalement pour être mis en lien avec une personne ou avec un enregistrement audio délivrant une information. En m’inspirant des SVI classiques, j’ai conçu deux dispositifs différents : le Serveur Vocal Humain, à travers lequel je réponds en direct au téléphone en faisant semblant d’être un SVI automatique ; le Serveur Vocal Interactif Poétique, un véritable SVI mais dont l’objectif est l’écoute de textes poétiques ou littéraires.
En avril 2020, j’ai imaginé l’arborescence d’un serveur vocal téléphonique permettant aux appelants d’aboutir, après un parcours poétique et ludique au fil des messages diffusés, à l’écoute de certains de mes poèmes, textes de théâtre, etc. J’ai ensuite fait passer autour de moi l’information (fausse) comme quoi je travaillais avec une entreprise sur la mise en place d’un véritable serveur vocal automatique poétique et qu’il suffisait d’appeler pendant des plages horaires précises, sur mon propre numéro de téléphone, pour tester le prototype. Lorsque le téléphone sonnait, c’est moi qui décrochais : j’entamais immédiatement l’imitation des voix automatiques (rythme et tonalité) pour souhaiter la bienvenue et annoncer que l’appel serait enregistré pour des raisons de recherche et développement (afin que les appelants se sachent écoutés). J’effectuais aussi différentes manipulations sur mon téléphone pour donner l’impression d’un serveur automatique, tandis que je lisais à voix haute les messages que j’avais rédigés dans l’arborescence (un fichier texte sur l’écran de mon ordinateur) puis finalement tel ou tel poème ou texte demandé. Beaucoup ont cru à un véritable serveur automatique, d’autres ont douté, certain.e.s ont réussi à me faire éclater de rire. Il faut dire que la manière dont j’ai conçu l’arborescence exacerbe le côté absurde du SVI en tant que tel, sa tentative de paraître humain, de faire de l’humour ou un jeu de mot poétique.
Le 15 mai 2020, dans le le lieu d’art ZAOUM à Clermont-Ferrand, pour le finissage de l’exposition « ICI PROCHAINEMENT paillasson et adventices » de l’artiste Théo Poulet (voir aussi ma performance pour le vernissage ici), je me suis installé dans la vitrine de l’exposition afin de proposer un Serveur Vocal Humain particulier : une arborescence conçue pour mener à la lecture de 12 textes écrits par Théo Poulet, en lien avec 12 espaces particuliers de l’exposition. C’était une forme de visite virtuelles par téléphone. C’est à cette occasion que j’ai expérimenté pour la première fois le GPS Humain, en communiquant aux passants les indications qui devaient les conduire à entrer dans la galerie : « Dans 4 mètres, tournez à gauche. Tournez à gauche. Faites demi-tour », etc. Ces interactions (d’autant plus troublantes car j’étais masqué) avec les personnes à proximité dans la rue ont été très inspirantes et je compte développer ce dispositif lors de prochaines occasions.
Serveur Vocal Interactif Poétique
Depuis mai 2020, je travaille avec l’entreprise TLM Com sur la mise en place d’un (vrai!) modèle de Serveur Vocal Interactif Poétique (avec des voix automatiques) permettant l’écoute de certains de mes textes, enregistrés pour l’occasion. Il disposera de trois menus principaux : un menu pour l’écoute de poèmes, un menu pour l’écoute d’autres textes (extraits de pièces de théâtre, de romans…) et un menu pour l’écoute de textes en écriture semi-automatique, que j’aimerais assez hypnotiques pour aider les gens à trouver le sommeil en cas d’insomnie. L’arborescence reprend celle que j’ai utilisé pour mon premier SVI Humain un mois plus tôt, avec des ajouts et des modifications, notamment inspirées par la contrainte technique. Ce prototype pourra ensuite être décliné et proposé à des institutions culturelles ou des entreprises, avec une autre arborescence et avec d’autres textes (car ici, ce sont seulement des textes dont je suis l’auteur) pour faire découvrir le travail des artistes, pour explorer la saison artistique par l’audio, pour découvrir un métier, etc.
Télérésidence
La résidence artistique classique est définie par l’accueil d’artistes dans un lieu physique pour un temps déterminé, afin de leur permettre de travailler en lien avec des équipements mis à leurs disposition, et avec parfois un intérêt particulier pour un paysage, des personnes, etc. Je définis la télérésidence comme une forme de résidence artistique en télétravail. Il s’agit alors de définir les canaux par lesquels seront reliés l’ici des artistes et l’ailleurs de la résidence (lieux, équipements, personnes…) aussi bien pour le travail de création que pour le partage des oeuvres.
Début avril 2020, j’ai effectué une télérésidence avec l’Institut Français de Cluj Napoca : dans la suite de discussions par téléphone avec des habitants de cette ville roumaine, à qui je demandais d’imaginer avec moi un futur post-crise de manière positive, j’ai écrit cinq poèmes en français et en roumain. L’influence des discussions sur ces poèmes n’est pas très apparente, mais je suis persuadé que ces échanges m’ont nourri dans l’écriture. À la demande de l’Institut Français, j’ai mis ces poèmes en vidéo en les lisant à haute voix en même temps que je filmais différents éléments de mon intérieur ou de mon jardin (enregistrement simultané des images et du son pour chaque séquence). Ces vidéos ont été diffusées sur la page Facebook de l’Institut Français de Cluj Napoca et aussi sur le site du Festival des Arts Confinés à qui je les ai soumises.
Téléperformance
J’ai construit ce mot par l’ajout du préfixe « télé » au mot « performance ». Les artistes qui téléperforment en émission envoient des indications à distance aux artistes qui téléperforment en réception, ailleurs, en réalisant des actions (paroles et gestes) devant un public (on peut aussi envisager une complexification de ce dispositif de différentes manières, par exemple avec des retours vidéos et son, un public qui assiste à l’émission des indications, voire une multiplication des lieux depuis desquels les artistes téléperforment en émission et/ou en réception, etc.). Il ne s’agit pas d’une performance extrême comme l’ont pratiqué des artistes comme Gina Pane, Chris Burden ou Marina Abramović. Cependant, dans l’expérience décrite ci-dessous, j’ai tenté d’accompagner la téléperformeuse en réception dans « l’accomplissement d’une action réelle, sans mimèsis« 1, ce qui est un exemple de définition générique de la performance. Autres caractéristiques en commun : pas de répétition préalable, moment unique, nécessité de prendre en compte et d’improviser par rapport aux spectateurs, découverte des mots et des gestes à chaque instant par la téléperformeuse en réception.
Fin avril 2020, j’ai effectué une téléperformance à Besançon via l’artiste Agathe Guignard que je guidais par téléphone pour dire un texte et faire des mouvements devant ses co-confinés. C’était, sous certains aspects, une forme de théâtre d’appartement audio-guidé. D’un point de vue narratif, cette téléperformance s’articulait autour d’une fiction futuriste : un rituel d’appel aux esprits aboutissant à la possession de la téléperformeuse par un certain Christopher. Cet artiste de 2063, habitué à performer par télépathie, se retrouvait pour la première fois catapulté dans le passé, via un corps inconnu. Imaginer un vocabulaire du futur et un rituel païeno-technologique, voilà ce qui m’a surtout mis en mouvement pour l’écriture de la trame et de bribes de textes (car les réactions des spectateurs, que j’entendais par le téléphone d’Agathe poussaient à l’improvisation). J’avais un retour audio mais rien au niveau vidéo. Au-delà du confinement, le développement de cette démarche pourrait permettre de créer des oeuvres pour lesquelles les artistes internationaux n’auraient pas de déplacements, tout en développant la coopération avec des artistes locaux.
1. Joseph, Danan, Entre théâtre et performance, Actes Sud-Papiers, Arles, 2013, 2016, p. 23.
Artistes au téléphone
À l’origine des différents dispositifs ci-dessus, il y a mon envie, dès le 14 mars 2020, de lire mes textes par téléphone, avec un lien pour les donations. Deux jours plus tard, au début du confinement pour la pandémie de covid-19, j’ai lancé le groupe Facebook Artistes au Téléphone pour ouvrir à d’autres et encourager le partage par l’audio du téléphone. Ce groupe compte un peu plus de 400 membres en mai 2020. Une trentaine ont posté des annonces pour préciser leur proposition : texte, chant, musique… avec le mode de prise de rendez-vous et un lien éventuel pour une donation : . C’est auto-géré. Tous les jeudis soirs, pendant le confinemet, Isabelle Rainaldi a organisé les Jeudi Ouvert, une scène ouverte via Zoom, en audio seul, avec des lectures de 5 min. par artiste. Le public applaudit entre chaque texte, commente, échange. Une sorte de salle virtuelle ! Quand le session Zoom d’Isabelle était terminée, j’ouvrais une seconde réunion où nous pouvions migrer en un instant : c’était comme faire la tournée des bars. Nous terminions par un poème en écriture collective à l’oral, que je lisais ensuite pour clore la session. En juin 2020, nous décidons de poursuivre les scènes jeudi ouvert chaque premier jeudi du mois. Infos sur le groupe Facebook Artistes au Téléphone, entrée libre.
La presse parle d’Artistes au téléphone :
06/2020 : « Danielle Vioux va donner de la voix », La Provence, édition Salon de Provence, par Isabelle Conseil (ci-contre)
05/2020 : « Théâtre / Clyde Chabot collecte vos singularités », Le Journal de St Denis, par Maxime Longuet
03/2020 : « Covid-19 : Le théâtre au bout du fil », Sceneweb, par Anaïs Heluin
Contact : Julien Daillère / +33 6 69 18 75 27 / j.daillere@gmail.com
Partenaires
Télérésidence produite par la compagnie La TraverScène, avec le financement de l’Institut Français de Cluj Napoca (RO). Serveur Vocal Humain accueilli par Zaoum, Clermont-Ferrand (63). Ces recherches et expérimentations se font dans le cadre du programme La Marge Heureuse soutenu par Anis Gras, le lieu de l’autre, Arcueil (94).
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